Nous descendons du train à Moscou, à 4 h 11 du matin précisément, comme c’était prévu sur nos tickets de Transsibérien. Il est trop tôt pour rejoindre l’appartement de notre hôte, on décide de prendre un thé dans une gargote de la gare. Les Moscovites débutent leur journée, s’engouffrent dans le métro ou… prennent une bière.
Vers 8 heures, on décolle et on assiste à un lever de soleil tardif, hallucinant, digne d’un tableau, sur le chemin qui nous conduit au centre-ville. On peut déjà constater que l’architecture russe est massive, avec des avenues ultra-larges, des bâtiments imposants.
Notre appartement moscovite se trouve au 9e étage d’un immeuble immense. Notre hôte est en vacances et nous laisse sa chambre. C’est sa colocataire finlandaise, Rika, qui nous accueille avant de partir travailler. On prend le temps de s’installer, de visiter le quartier avant de la retrouver pour dîner, et faire plus ample connaissance.
Nous n’avions rien prévu à Moscou. La première visite sera donc l’incontournable Kremlin et, comme on est chanceux, sous un soleil radieux. Il y avait un kremlin ou forteresse urbaine, au centre de chaque ancienne ville russe. Mais celui de Moscou fut la résidence des tsars, celle des dirigeants de L’URSS, et aujourd’hui, le centre politique de la Fédération de Russie. C’est vraiment le cœur de la capitale, entouré d’une immense enceinte fortifiée. L’entrée est gardée, on y circule calmement et avec respect, pas intérêt à traverser en dehors des clous…
C’est étrange de se promener entre les bâtiments civils et religieux qui ont marqué l’histoire de la grande Russie et pour certains, qui continuent. On peut apercevoir le Palais Présidentiel, le Sénat, marcher le long du Grand Palais, ancienne demeure des tsars, approcher l’Arsenal et le « Tsar Pouchka », le roi des canons, et surtout, surtout, la place des Cathédrales.
Ici sont regroupés les monuments les plus anciens de la résidence des tsars, sur quelques centaines de mètres carrés. Pas moins de cinq cathédrales, deux églises, deux palais, un grand clocher et un beffroi. Des bulbes dorés à perte de vue sur un ciel bleu-azur.
Nous avons visité ces cathédrales orthodoxes magnifiques et tellement différentes des nôtres, mais sans guide, c’est un parcours fastidieux. Les intérieurs sont richement décorés, tellement qu’on ne sait plus où donner de la tête.
Finalement, c’est en marchant le long des bâtiments, ou le long de l’enceinte qu’on en a pris plein la vue. Le Kremlin domine la Place Rouge et le fleuve Moscova. C’est à couper le souffle. C’est romantique, on remonte les époques…
Il est temps de rentrer pour profiter d’un peu de temps avec Rika. Le couchsurfing, ce n’est pas seulement profiter d’un appartement gratuit, c’est aussi participer aux tâches ménagères, partager des expériences et du bon temps. Je fais des crêpes, les premières depuis bien longtemps, qui deviendront un peu notre marque de fabrique en tant que couchsurfeurs.
Sur les conseils de notre nouvelle copine finlandaise, nous nous rendons au VDNKH, ou centre panrusse des expositions, au nord du centre-ville. En sortant du métro, on tombe sur une allée bordée de statues à l’effigie des grands cosmonautes russes. On se retrouve nez à nez avec Yuri Gagarin, le premier homme à avoir été dans l’espace.
Il semble regarder d’un air perdu le monument des conquérants de l’espace : une espèce de rampe surdimensionnée filant vers le ciel avec tout en haut, une fusée. Ils ont le sens de la grandeur et de la mise en scène ces Russes…
Après les cosmonautes, on entre dans l’univers des kolkhozes et des soviets avec le VDNKH. On y entre par un arc de triomphe imposant et on longe une allée qui mène jusqu’à un bâtiment central, énorme, comme toujours, avec une grande étoile, une faucille et un marteau en décoration. Serait-ce un musée ? On y entre, emplis de curiosité, en suivant un groupe d’enfants. Et on tombe sur une galerie marchande un peu pourrie, avec des mini boutiques qui vendent de tout et de rien. Trop bizarre. L’intérieur est aussi imposant que l’extérieur, avec des colonnes et des escaliers en marbre.
En continuant notre ballade sur l’allée principale, on croise de nombreux monuments ou pavillons, numérotés et portant les noms d’Ukraine, Arménie, Tadjikistan…, avec à l’intérieur, toujours ces boutiques bon marché. On est où là ?
Cet immense parc me fait penser à un cimetière de monuments antiques.
J’apprends que le site fût à l’origine un grand parc d’exposition agricole qui regroupait les recherches et les nouveautés de toute l’Union Soviétique. Chaque république, territoire, région soviétique y était représenté par un pavillon et l’on pouvait y voir les nouveaux chantiers recommandés pour la réalisation des campagnes soviétiques, « Du nouveau dans les campagnes ! ».
Puis, c’est devenu l’exposition des réalisations de l’économie nationale de L’URSS, regroupant les activités agricoles et industrielles. On y fit construire de nouveaux pavillons ultras modernes pour l’époque, comme celui de l’Espace et de l’Informatique, qui ne se marient pas tellement avec les autres monuments de style antique.
Aujourd’hui, en déambulant parmi ces bâtiments hétéroclites, au son de la pop russe criarde que diffusent en continu les haut-parleurs, dans l’après-midi gris et froid, dans l’odeur des stands à saucisses, on est en plein dans le symbole de la déchéance de la grande Union Soviétique. C’est vraiment étrange d’assister comme ça à la chute vertigineuse d’une idéologie.
C’est un peu comme se balader dans une fête foraine un peu beauf qui aurait lieu sur un site historique grandiose…
On reprend pied dans la réalité pour se noyer dans la foule des Moscovites qui visiblement adorent cet endroit. Ils viennent y faire des emplettes pas chères, faire du roller, voir une exposition précise ou manger un Subway.
On ne loupe pas l’occasion de passer par la Place Rouge de nuit avant de rentrer à l’appartement. La place est vraiment immense, entourée du Kremlin, de la cathédrale Basile le Bienheureux, du magasin GUM (magasin principal universel) tout illuminé et du Musée d’Histoire d’État. On ne pouvait pas mieux tomber pour une première fois, c’est beau ! D’ailleurs, c’est plus ou moins le vrai nom de la place. En russe ancien beau et rouge n’était qu’un seul et même mot… Tout simplement !
Nicolas, notre véritable hôte, arrive dans la nuit, de Tunisie. Il dort par terre. Sympa de sa part. On fera connaissance à toute allure, c’est un gars qui ne perd pas de temps ; il semble toujours occupé.
D’ailleurs, il repart le lendemain.
On retourne sur la Place Rouge de jour pour visiter la cathédrale Basile le Bienheureux ou Saint Basile, pour les intimes. Autre ambiance, beaucoup de monde, surtout des touristes. La cathédrale, qui est un symbole de l’architecture traditionnelle russe, ressemble à un château sorti d’un dessin animé.
Avec ses bulbes de toutes les tailles, couleurs et textures, on dirait même un jouet pour enfant. J’ai du mal à rester concentrée, mais on est parti pour la visiter. Pour moi, elle est un peu comme les autres églises orthodoxes, surtout qu’il n’y avait pas assez de panneaux explicatifs à mon goût… Je profite de la vue dans les étages sur la Place Rouge et d’un groupe qui chante a capella dans une des salles, ça me donne des frissons.
Notre promenade se poursuit le long du Kremlin et de la Moscova pour arriver jusqu’à la cathédrale du Christ-Sauveur. Énorme, imposante, à la démesure russe, elle est la plus grande d’Europe. Allez, on y entre pour tâter l’ambiance. Elle est toujours en activité et beaucoup de gens viennent y prier. Elle me rappelle un peu, dans un tout autre style bien sûr, les cathédrales de Rome, par sa hauteur, ses coupoles. On fait un tour dans les chapelles du sous-sol où de nombreux portraits de la vierge à l’enfant, de toutes les époques, sont accrochés. De nombreuses femmes sont présentes, priant la Madone, communiant avec elle. C’est étonnant et calme. Un peu claustrophobique tout de même…
On remonte à la surface pour se diriger lentement vers le légendaire Gorki Park. La fin d’après-midi est frisquette, mais ensoleillée, parfaite pour se promener dans les allées bordées de saules pleureurs.
Le rythme citadin se fait moins sentir, les gens prennent le temps de marcher en familles ou en amoureux. Ça fait du bien après ces quelques jours de tourisme urbain intensif.
Dans la soirée, nous sortons avec Rika, Nicolas et des amis colombiens à lui, pour écumer quelques bars et échouer dans un dance-club latino. La musique est indescriptible, les boissons pas trop chères, les Russes chauds et chaudes comme des baraques à frites. Alors si l’on dit qu’on est français et qu’on vient de Paris, on est bons pour un strip, de grands mouvements de cheveux style années 90, ou se faire coller pendant des plombes… Expérience sympa, au final, mais une fois c’est bien, plus, c’est déconseillé !
On se lève tôt pour faire un coucou à Lénine dans son mausolée. On retourne donc encore une fois sur la Place Rouge. On ne s’en lasse pas. Le mausolée se trouve contre l’enceinte du Kremlin, le corps de Lénine y est exposé depuis 1924, année de sa mort. Comme pour le mausolée d’Ho Chi Minh, un comportement exemplaire est de rigueur : on est silencieux, pas de chapeau, pas de main dans les poches, pas de photo, de téléphone, on avance, on avance, on ne s’arrête pas, on sort.
Deux minutes chrono ! Ben c’était moins impressionnant que la tombe de l’oncle Ho. Lénine semblait luire d’une lumière irréelle. Est-il en cire ? Étrange impression. Il paraît qu’il est embaumé selon une technique secrète, exclusive des soviets…
Bref, on rentre et on fait ce qu’il y a de plus logique à faire après ça : des croque-monsieur. Et c’est tout !
Le dimanche, notre dernier jour dans la capitale, nous partons avec Rika à Partizanskaya. C’est un énorme marché-brocante avec une partie « souvenirs pour touristes » et une autre, vraie brocante. On y trouve des choses essentielles comme : des masques à gaz, des armes à feu de l’époque soviétiques, des munitions, des badges et insignes à gogo, d’anciennes pièces de monnaie, des affiches…
Plus loin, c’est la partie seconde main. J’y trouve un Lomo qui semble fonctionner, pour une dizaine d’euros. Cool ! Il y a aussi plein de petits stands hétéroclites comme dans n’importe quelle brocante, mais qui ne vendent que des objets des soviets. L’ambiance est chaleureuse, ça marchande, un peu.
Pour fêter la fin de notre séjour moscovite, nous nous rendons tous les trois dans un restaurant ukrainien. Ma foi oui, pourquoi pas ! C’est le pays voisin et futur lieu de passage pour nous. Pas cher, généreux et gouteux ! On se promet de se revoir en Finlande, à Paris ou ailleurs.
Ce soir, comme une rémanence du transsibérien, nous dormirons dans un train.